Le repas de Noël – l’épreuve pour une personne autiste
21H30, le 24 décembre, Gaston voit arriver une bûche glacée aux marrons dans son assiette. Il aime la glace et la bûche mais la combinaison des deux n’est juste pas possible pour lui. Mamie est perplexe, elle a pourtant suivi les instructions « il aime la glace et il aime la bûche »
Alors pourquoi Gaston n’arrive pas à la manger? il est mal élevé? Capricieux? Non, il est autiste et pour lui sensoriellement la combinaison n’est pas possible, en tout cas pas aujourd’hui, vu toutes les autres stimulations sensorielles qu’il supporte depuis son arrivée 2h avant.
Dans l’autismomètre des choses compliquées à gérer pour une personne autiste, la nourriture et les repas en général sont proches du maximum.
Entre les problèmes sensoriels, les changements dans la routine, le bruit et les aspects sociaux tels que la conversation, c’est un concentré de presque tout ce qui met une personne autiste en surchauffe.
Comprendre ce que vit une personne TSA est essentiel si on veut défendre ses intérêts, éduquer les autres à la neuro-diversité et ne plus voir leurs difficultés comme des problèmes éducatifs.
La nourriture cette bombe sensorielle
La majorité des personnes autistes ont des différences de traitement sensorielles, ce qui peut rendre certains aliments, textures, odeurs, goûts, voire même l’acte de manger lui-même, difficiles ou insurmontables dans certains cas.
Ces différences peuvent causer une alimentation dite « sélective » ou des aversions alimentaires.
Par exemple, la texture de certains aliments, tels que les textures gluantes (un flan) ou croquantes (une biscotte), peut déclencher des réactions de dégoût.
Les textures mixtes sont souvent aussi compliquées à gérer (une salade de riz avec des morceaux dedans, une sauce avec 5 ingrédients en cube, de la glace avec des morceaux de chocolat…). Ici c’est la combinaison de plusieurs informations très différentes qui pose problème.
De plus, les fortes odeurs ou les saveurs tranchées peuvent être envahissantes et constituer une véritable agression physique pour la personne autiste (pense à la dernière fois que tu t’es retrouvée à côté d’un vomi 🤮, c’est le genre de sensation qui est fréquente pour une personne autiste sensible aux odeurs de nourriture)
C’est donc le moment d’éviter le fromage qui pue au menu ou un aliment très odorant comme les oranges si la personne autiste ne les supporte pas (quand je mange une nectarine, je dois m’éloigner de ma fille et me nettoyer les mains et la bouche après, ça lui donne un haut-le-cœur)
Forcer une personne autiste à manger un aliment qu’elle redoute n’est vraiment pas une bonne idée, mieux vaut encourager les essais volontaires, en quantité infime, à un moment tranquille et avec l’option de juste sentir, lécher ou recracher au besoin et sans conséquence.
Beaucoup de personnes autistes ont des plats ‘refuges’ qui leur permettent de baisser la charge de traitement de l’information sensorielle car ils connaissent bien la combinaison goût/texture/odeur/sensation et ça leur permet de dépenser moins d’énergie.
Sache que toutefois, la majorité des autistes combinent des hypersensibilités à des hyposensibilités sensorielles (sinon ça serait trop simple…).
Il est assez fréquent de détester une odeur d’ail mais adorer celle des pommes ou ne pas supporter que ses aliments se touchent dans l’assiette mais adorer la salade de riz de Mamie. Tout est possible !
Reconnaître ces sensibilités sensorielles permet de proposer des alternatives adaptées et favoriser l’inclusion de la personne avec un moindre effort pour elle.
A table : l’enfer c’est le bruit des autres
Les environnements des repas peuvent être bruyants et distrayants, avec de multiples conversations, des bruits de vaisselle et de la musique de fond.
Le bruit et les distractions augmentent les informations entrantes, il est donc logique qu’une personne autiste cherche à les éviter ou ne soit pas en mesure d’en plus faire la conversation, d’autant qu’elle est déjà submergée d’informations sensorielles.
Créer un environnement calme et assez silencieux peut grandement améliorer l’expérience du repas.
Tu peux y arriver en
- minimisant les bruits de fond,
- proposant des casques antibruit, boules quiès, etc. si nécessaire
- aménageant un espace calme désigné où la personne autiste peut se retirer pour éviter la surcharge ou lui proposer de manger avant ou après.
La prévisibilité ou comment diminuer la charge mentale
Dans le webinar sur ‘Comprendre l’autisme de l’intérieur‘ – on a vu que le cerveau autiste est constamment en train de gérer de nombreuses informations entrantes, tout en essayant de traiter et ranger toutes les informations déjà en traitement.
Le traitement de l’information étant assez lent et le volume d’information entrante important, il y a rapidement un embouteillage d’informations, causant la personne à être constamment en surcharge cognitive (comme vivre en permanence dans un état débordé – vous imaginez bien comme c’est épuisant).
On a aussi vu que le traitement est lent parce que le cerveau traite l’information par le détail, contrairement au cerveau neurotypique.
Le cerveau neurotypique procède par approximation – ex si je dessine un rond et que je mets 2 points et un trait, vous allez rapidement voir un bonhomme – alors que chez une personne autiste elle va d’abord voir le cercle, les 2 points, un trait et seulement quand elle aura tout traité elle comprendra que c’est un visage. Les 2 visions sont complémentaires mais elles ne prennent pas la même vitesse car construites différemment.
Étant donné ces différences, une des façons que les personnes autistes ont trouvées pour essayer de gérer ce trop-plein c’est de limiter les changements, pour éviter que le cerveau doive traiter plein de nouvelles infos d’un coup.
Donc tout changement dans les horaires des repas, les substitutions alimentaires inattendues ou les modifications des recettes familières peuvent perturber leur sentiment de stabilité et causer de l’anxiété (comme si on te disait subitement qu’il fallait de nouveau refaire ce méga calcul complexe que tu venais de finir et qui t’a pris plein de temps, y’a de quoi s’inquiéter).
Ce que tu peux faire c’est
- éviter ou limiter les nouveautés alimentaires si il y a déjà d’autres changements inévitables (ex les fêtes)
- prévenir à l’avance de tout changement de menu, plat, horaires
- impliquer la personne autiste dans la planification des repas et la prise de décision sur une partie ou tout le repas (sans forcément trop lui demander car ça peut aussi induire un stress au niveau du choix).
Évidemment, tu ne peux pas tout prévoir et parfois y’a des modification indispensables et c’est là où le repas ‘refuge’ peut vraiment être utile
Ici on a toujours des boîtes de nouilles chinoises déshydratées en stock, ça dépanne beaucoup, surtout quand par ex on a tenté une nouvelle recette et c’est un flop. Avoir cet aliment avec nous permet à notre fille de tester des choses plus facilement, elle a l’assurance d’avoir un plan B si ça ne passe pas.
Parler c’est fatigant quand on est déjà épuisé
Les repas impliquent souvent des interactions sociales et des conversations.
À partir du moment où tu comprends la somme d’informations qu’une personne autiste gère pendant un repas juste au niveau sensoriel, tu comprends plus facilement pourquoi, faire en plus la conversation devient mission impossible.
Une conversation c’est un condensé d’informations multiples (ton de la voix, contenu, émotion et intention de la personne, règle sociale, quoi répondre, ce qu’on pense et ressent, etc..) et c’est juste trop.
La conversation à table n’est clairement pas le meilleur endroit pour discuter avec une personne autiste, attendre la fin du repas et privilégier les conversations en tête à tête ou en petit groupe.
Garder l’esprit ouvert
Comme tout autre humain, chaque personne autiste est unique et a des besoins spécifiques.
Comprendre et accepter la neurodiversité veut dire créer un environnement plus inclusif et accueillant, aménager les traditions notamment autour des repas et toujours garder un esprit ouvert.
Il n’y a pas de recette toute faite, il faut procéder par essai-erreur et progressivement trouver ce qui facilite la participation dans de bonnes conditions de toutes les personnes autistes.
S’affranchir des traditions permet de trouver plus facilement une solution inclusive car au final, qu’est-ce qui compte le plus : que Ginette aie goûté du chapon à la sauce aux truffes ou qu’elle aie passé un bon moment avec ses pâtes au jambon?
Parfois la solution est simple.
Si tu penses un peu différemment et que tu es au clair sur la priorité!
Bon appétit
Ressources utiles
Le podcast Tous Pareil ou presque qui a un épisode dédié à l’alimentation
0 commentaires